Eros & Subtilitas

Alia Vox Diversa

17,99



ALIA VOX DIVERSA
AVSA9952
Total time: 65:32

EROS & SUBTILITAS

Early Renaissance music by Vincenzo Ruffo, Philippe Verdelot,
Jacques Arcadelt, Clement Janequin, Jhan Gero, Domenico Ferrabosco,
and anonymous pieces from the Manuscript of Castell’Arquato.

1. La Gamba 3:32
V. Ruffo

2. Dormendo un giorno 2:33
Ph. Verdelot

3-4. Dormendo un giorno 5:10
V. Ruffo, Ph. Verdelot

5. Pavana in Sol 2:31
MS Castell’Arquato

6. Saltarello in Sol 2:41
MS Castell’Arquato

7. Quand’io penso al martire 2:07
V. Ruffo, J. Arcadelt

8. Madonna io v’amo 2:57
J. Gero

9. Ricercare in La 2:54
MS Castell’Arquato

10. Lieti felici spirti 3:32
V. Ruffo

11-12. Pavana & Saltarello in Re 3:17
MS Castell’Arquato

13. Gentil mia donna 2:57
V. Ruffo

14. Ricercare in Sol 1:49
MS Castell’Arquato

15. Io mi sono gioveneta 2:51
D. Ferrabosco, MS Castell’Arquato

16-17. O felici occhi miei 6:07
J. Arcadelt, V. Ruffo

18. La Disperata 1:28
V. Ruffo

19. Martin menoit 2:02
V. Ruffo, C. Janequin

20-21. Pavana & Saltarello in Ut 3:44
MS Castell’Arquato

22. El Cromato 1:38
V. Ruffo

23. Da bei rami scendea 4:10
V. Ruffo, J. Arcadelt

 

TASTO SOLO
Anne-Kathryn Olsen, soprano · Riccardo Pisani, baritone
Bertrand Cuiller, Renaissance harpsichord · Bérengère Sardin, Renaissance harp
Pau Marcos, viola bastarda · Bor Zuljan, Renaissance lute
Guillermo Pérez, organetto & direction

Recorded at the Château de Bournazel (France), November 2021.
CD production: Tasto Solo. Coproduction: Alia-Vox, Sonjade S.L.
Sound engineer, recording director and editing: Jean-Daniel Noir.
English, Spanish & French commentary inside.

 

 

EROS & SUBTILITAS

En pensant à quel point la musique est fleurie à notre époque, non seulement celle qui
relève de l’harmonie des voix,
mais aussi celle qui relève des instruments

Diego Ortiz, 1553

La voix humaine est louée de manière quasi permanente dans les traités de la Renaissance et désignée comme un modèle « supérieur » et « plus digne » que les instruments musicaux doivent s’efforcer d’imiter ; ceci étant peut-être le fruit d’un consensus plus académique que pratique. En effet, la récupération actuelle des musiques dites historiques a montré que la reconstruction d’instruments originaux et la récupération de leurs techniques de jeu représentent une voie majeure pour accéder à la compréhension des répertoires anciens, qu’ils soient joués ou chantés. Les instruments et les voix sont, in fine, les personnages d’un dialogue d’allers et retours dans un univers du passé dont on ne peut apercevoir aujourd’hui que la traînée de certains astres et firmaments.

Au XVIe siècle, la musique donna naissance à l’une des plus riches constellations. Ainsi, l’Europe connut une éclosion frénétique et inédite d’ouvrages et de méthodes consacrés exclusivement au développement du langage et du jeu instrumental, en parallèle à celui de l’art vocal. L’Italie fut le berceau de la pratique virtuose de la glose ou diminuzione, mais également de la diffusion d’une myriade de compositions dérivées du monde de la danse. C’est aussi en Italie qu’on trouve le premier usage documenté du terme capriccio pour désigner une forme de composition instrumentale. C’est le cas des Capricci in Musica a Tre Voci de Vincenzo Ruffo.

Imprimés à Milan en 1564, alors que Ruffo était maître de chapelle du célèbre Duomo, les Capricci sont une singulière collection de 23 petites pièces. Il s’agit de la seule œuvre pour instruments du compositeur, dépourvue donc de texte, et de sa dernière publication de musique profane, avant qu’il ne se consacre uniquement à la musique liturgique et à la diffusion des commandements tridentins. Composés à partir de voix extraites d’œuvres vocales d’autres musiciens (telles que Dormendo un giorno de Verdelot ou O felici occhi miei d’Arcadelt), avec des mélodies rattachées au domaine de la danse (La Gamba) ou faisant usage de nouveaux motifs créés librement et présentés sous des titres évocateurs (La Disperata, El Cromato, El Pietoso…), les Capricci sont un véritable exemple de maîtrise de l’art du contrepoint de la Renaissance. Par ailleurs, Ruffo y déploie un langage rythmique à la fois subtil et extraordinairement complexe, similaire à celui des esthétiques intellectuelles de la musique du Moyen Âge tardif, elle-même certainement connue de Biagio Rossetto, professeur de Ruffo à la cathédrale de Verone et divulgateur des enseignements de nombreux auteurs de théorie médiévale. Dans la dédicace des Capricci, adressée à Marco Antonio Martinengo, comte de Villachiara et musicien amateur reconnu, Ruffo fait précisément allusion à la difficulté de cette œuvre et signale qu’elle convient aux musiciens « virtuosi », une virtuosité qui résulte autant du niveau technique des pièces que de la flexibilité musicale requise par son style ardu et raffiné. De manière moins explicite, Ruffo mentionne aussi l’existence des Capricci avant leur édition de 1564, et rapporte avoir entendu Martinengo « les chanter d’une si belle manière ». Fait-il ici référence à une possible performance vocale et instrumentale, ou s’agit-il de l’occasionnelle ambivalence du mot cantare, qui pouvait signifier à la Renaissance tant chanter que jouer ? Ces incertitudes, ajoutées à la rareté des Capricci dans le paysage musical de leur époque et dans le catalogue de Ruffo, placent cette œuvre à l’intérieur de ce que le musicologue Nino Pirrota décrit comme « le large espace qui existe entre les extrêmes des traditions écrites et de celles non écrites, qui ne sont autre chose que de grandes généralisations », un espace où cohabitent des cas uniques, des particularités géographiques ou chronologiques, des exceptions et des hybridations, qui font partie de l’infinie beauté de la musique ancienne.

Les trois couples de Pavana et Saltarello présents dans ce disque procèdent d’une autre source tout aussi particulière : le manuscrit dit de Castell’Arquato. Conservé aux archives de la collégiale de cette petite ville italienne, près de Plaisance, ce volume contient une collection de cahiers, de facture simple et sans décoration, copiés de manière anonyme vers la moitié du XVIe siècle, avec de la musique pour clavier et probablement pour d’autres instruments polyphoniques comme la harpe. Le répertoire de ce manuscrit est considérablement varié. Il comprend, outre des fragments de motets et des extraits de musique sacrée, un important corpus de chansons et basses de danse (romanesca, passamezzo antico et moderno), la plupart de ces pièces étant des versions uniques et sans concordance. Le manuscrit contient aussi une considérable sélection de ricercare, certains d’auteurs inconnus (plages 9 et 14) et d’autres composés par de célèbres claviéristes italiens actifs pendant les premières décennies du cinquecento, tels que Fogliano ou Cavazzoni. Ce précieux recueil est complété par une douzaine de madrigaux et de chansons qui montrent les divers procédés de copie, d’arrangement et d’ornementation réalisés par les instrumentistes de la Renaissance à partir d’œuvres vocales.

Ce sont précisément les voix et leur répertoire qui complètent cet enregistrement et donnent tout son sens à l’ensemble de ce projet. D’une part, on y trouve les madrigaux de Verdelot, Ruffo, Arcadelt et Gero, dans lesquels on a conservé la voix supérieure chantée, et parfois aussi la basse, ce qui permet à l’auditeur de se concentrer sur une seule ligne mélodique, tandis que les autres voix de la polyphonie se transforment en un accompagnement instrumental. Ce mode d’exécution largement documenté à l’époque, et qui renvoie aux techniques utilisées dans des adaptations instrumentales comme celles de Castell’Arquato, illustre la continuité de la pratique de la mélodie accompagnée à la Renaissance, entre sa naissance au Moyen Âge et son apogée à l’opéra. De cette manière, on crée une esthétique qui donne un grand relief à l’expressivité de la voix soliste, avec des caractères et des vitesses en cohérence avec ce style, et en contraste avec d’autres manières habituelles de chanter la polyphonie a cappella. D’autre part, dans certains des Capricci de Ruffo ce sont les voix qui intègrent l’ensemble des instruments, tout en chantant les parties et les textes des œuvres que Ruffo utilisa comme support pour écrire ses nouvelles compositions. Dans les Capricci sur Dormendo un giorno et Quand’io penso al martire, ou encore dans celui qui reprend la chanson coquine Martin menoit de Janequin, les voix fusionnent avec le langage des instruments et elles assimilent leurs articulations et leurs phrasés. Le programme arrive à son point culminant dans la dernière pièce, Da bei rami scendea, dans laquelle les voix du madrigal original d’Arcadelt se superposent et s’entrelacent avec celles de la version de Ruffo pour fêter le « royaume d’amour ».

Les instruments utilisés dans ce disque sont représentatifs de la culture italienne du début de la Renaissance et du domaine de la musique de chambre : un petit clavecin sans étouffoirs dans son registre aigu, une harpe simple, une viole de gambe et un luth. Dans certaines pièces j’ai jugé opportun d’utiliser un organetto, bien qu’il s’agisse d’un instrument devenu désuet au cours du XVIe siècle. Malgré cette contrainte chronologique, même floue, plusieurs raisons ont motivé ce choix. D’une part, tel que reflété dans l’enregistrement antérieur de Tasto Solo Early Modern English Music, l’histoire de cet instrument est encore très riche à la fin du XVe siècle, particulièrement en Italie, et il continue d’être documenté au début du XVIe siècle. Ainsi, ce serait non seulement un non-sens d’affirmer qu’un instrument n’est plus du tout joué à partir d’une date précise, mais aussi fort ironique dans un monde de la musique ancienne où l’on trouve de plus en plus de crossover et de purs anachronismes. D’autre part, l’organetto, en plus de sa ressemblance avec la flûte ou le cornet à bouquin, apporte un son archaïque en accord avec les éclats médiévaux encore présents dans les Capricci in Musica a Tre Voci et dans le langage du début de la Renaissance. Les musiciens du passé vouaient une grande admiration à leurs prédécesseurs. Les œuvres des XIVe et XVe siècles ont souvent été copiées au XVIe siècle. Les poésies de Pétrarque ont inspiré de nombreux compositeurs à travers les époques. De la même manière, les instruments anciens se sont tenus prêts à réapparaître à tout moment, même occasionnellement, en raison de leur symbolique ou de leurs fascinantes sonorités.

GUILLERMO PEREZ

Critiques

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