
Franz Schubert, Symphonie en Si mineur
Schubert compose sa Symphonie Inachevée en 1822 à l’âge de 25 ans, et aujourd’hui, malgré ce nom, cette symphonie, est acceptée actuellement comme pleinement complète, grâce à la spéciale relation d’unité, qu’on peut sentir entre ses deux mouvements ; Allegro moderato et Andante con moto. Ce rapport d’unité entre l’allegro et l’andante a semblé si évident, si intentionnel, au musicologue allemand Arnold Schering (1877-1941), « qu’il a voulu voir en la Symphonie inachevée un véritable décalque musical de son récit littéraire contemporain, également en deux parties, Mein Traum (Mon Rêve), écrit par Schubert à la même époque (en juillet 1822), et d’expliquer ainsi l’inachèvement de l’œuvre ou plutôt sa complétude ». […] Sans aller jusque-là, on peut dire que jamais jusqu’ici -dans sa musique symphonique tout au moins- Schubert n’a donné une expression musicale aussi adéquate de ce qu’il vient de formuler trois mois plus tôt dans Mein Traum (Mon Rêve) comme une de ses pensées les plus intimes :
Voulais-je chanter l’amour,
il se transformait en douleur,
voulais-je chanter la douleur,
elle se transformait en amour ».
Robert Schumann, Symphonie en Sol mineur
(WoO 29)
Le premier mouvement de cette Symphonie inachevée, en sol mineur fût créé le 18 novembre 1832, dix ans donc après l’inachevée de Schubert, et dans une version révisée il ajouta trois trombones. Nous avons choisi d’interpréter la version plus complète de Leipzig qui commence avec une brève introduction lente d’un arpège brisée ascendant, qui finit avec trois notes plaintives du hautbois, suivi de l’Allegro à ¾ qui engage une belle exposition concise, complété par un développement plus intense et épanoui. Avant la récapitulation il reprend les arpèges brisés du début.
Le deuxième mouvement commence avec l’héroïque Andantino en si mineur, interrompu par un Intermezzo quasi Scherzo en ré majeur, lequel selon Brigitte François-Sappey nous « offre un étonnant rapport tonal avec le mouvement liminaire et sa véhémence presque héroïque accentue son caractère intuitivement Schubertien de [sa] Symphonie inachevée (symphonie inconnue de tous jusqu’en 1865) ». Quelques années plus tard, le 14 avril 1839, il écrira a Heinrich Dorn : Je suis tenté d’écraser mon piano ; il devient trop étroit pour contenir mes idées.
Anton Bruckner, Symphonie en ré mineur « Nullte » (« Zéroth »)
Après ces deux symphonies de jeunesse de Schubert et Schumann, nous avons choisi de compléter le programme avec la merveilleuse composition d’une des plus intéressantes premières symphonies d’Anton Bruckner : La Symphonie « Nullte » en ré mineur. Il faut rappeler que Bruckner commence à composer ses premières symphonies en 1863 et 1864, quand il a déjà plus de 39 ans, a l’inverse de Schubert et Schumann qui ont composé leurs symphonies a l’âge de 25 et 22 respectivement. La Symphonie « Nullte » en ré mineur, fût composée après le choc de l’écoute de Tannhäuser, entre octobre 1863 et mai 1864, et fût remaniée cinq années plus tard, et étant en cette époque très critique vers lui-même, il la numérota Nullte (Zeroth) et ajouta la mention « pas valable, seulement un essai ». (Elle ne fût joué intégralement pour la première fois en concert le 12 octobre 1924, à Klosterneuburg). Malgré ces qualificatifs, cette symphonie mérite une place majeure dans la production symphonique de Bruckner, car elle contient des mouvements d’une extraordinaire puissance et grande lyrisme, comme le sublime Andante qui prend la forme d’une longue et intense méditation (comme si bien le souligne Éric Chailler, dans son livre sur Bruckner) : « un superbe motif. En forme de choral, s’y déploie majestueusement auquel répondent des bois semblant planer dans le ciel ». Le Scherzo se développe ne deux parties extrêmement contrastées ; le Presto à l’allure d’un puisant menuet débordant d’énergie et de joie, et le Trio « Langsamer und ruhiger » plein de lyrisme et de poésie. La symphonie conclût avec un Finale qui alterne des sections très lyriques avec une partie très énergique et tendue, qui s’achève -selon Chailler- « sur une puissante coda, d’une remarquable maitrise contrapuntique. Annonciatrice des grandioses péroraisons ultérieures ».
Toutes les trois symphonies seront interprétés avec la formation instrumentale et les instruments propres à l’époque de leur création.
Jordi Savall
Bâle, 15 septembre 2024