IBN BATTUTA – Le Voyageur de l’Islam 1304-1377

Hespèrion XXI, Jordi Savall

32,99


L’invitation au voyage comme moyen d’apprentissage et source de connaissances a été, selon les plus anciennes traditions prophétiques, préconisée par le prophète Mahomet lui-même ; il poussait ses croyants à voyager n’importe où, à la recherche du savoir et de la connaissance. Une des citations qu’on lui attribue nous dit : « Cherchez la connaissance jusqu’aux confins de la Chine ». La lecture du fascinant récit de voyage d’Ibn Battuta, nous permet de constater et découvrir ce genre littéraire à part entière ; la « Rihla qui désigne le voyage et, par la suite, le récit que l’on en fait. ». Ce genre avait déjà été initié par Ibn Jubayr (1145-1217), le premier grand voyageur arabe originaire de Xativa (Valencia).


Une évocation historique, géographique, littéraire et musicale de la rihla d’Ibn Battuta

La découverte des Voyages d’Ibn Battuta dans la belle édition, traduite au catalan par l’historienne Margarida Castells et le poète et arabiste Manuel Forcano, publiée par les éditions Proa (Barcelone, 2005), fut la source inspiratrice qui a été à l’origine de la réalisation de ce nouveau Livre/CD.

L’invitation au voyage comme moyen d’apprentissage et source de connaissances a été, selon les plus anciennes traditions prophétiques, préconisée par le prophète Mahomet lui-même ; il poussait ses croyants à voyager n’importe où, à la recherche du savoir et de la connaissance. Une des citations qu’on lui attribue nous dit : « Cherchez la connaissance jusqu’aux confins de la Chine ». La lecture du fascinant récit de voyage d’Ibn Battuta, nous permet de constater et découvrir ce genre littéraire à part entière ; la « Rihla qui désigne le voyage et, par la suite, le récit que l’on en fait. ». Ce genre avait déjà été initié par Ibn Jubayr (1145-1217), le premier grand voyageur arabe originaire de Xativa (Valencia).

Ibn Battuta était avant tout un véritable voyageur, et ses observations ne sont pas scientifiques mais plutôt personnelles. Malgré cela, elles apportent d’importantes connaissances sociologiques, coutumières ou historiques aux chercheurs. Citons un exemple curieux au sujet des femmes des Maldives, musulmanes et très pieuses, mais qui ne s’habillaient que jusqu’à la taille et ne couvraient pas le haut de leur corps, ni leurs cheveux : en qualité de qadi et de Maghrébin, Ibn Battuta a violemment condamné et tenté d’interdire cette pratique qui le choquait, sans succès toutefois. Le souverain de l’île à cette époque était une femme, et le régime du droit matriarcal était appliqué.

Comme le remarque si bien Oriane Huchon dans son intéressant article « Ibn Battûta : vie et voyages », celui-ci a rédigé ses Voyages à destination d’un public musulman averti du contexte politico-religieux du dâr-al-islam au XIVe siècle. Il n’a pas nécessairement explicité des éléments qui devaient lui sembler triviaux mais qui auraient apporté beaucoup de clés de compréhension au lecteur occidental. C’est en partie pour cette raison qu’il est demeuré longtemps inconnu des Européens. Jusqu’au XIXe siècle, sa chronique est connue principalement dans le monde musulman. Ce n’est que lorsque la chronique de ses Voyages a été traduite dans le monde occidental, qu’elle a été connue à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, surtout grâce aux traductions en allemand, puis en anglais et en français, publiées intégralement en 1858 par C. Defrémery et B. R. Sanguinetti et rééditées en 1997.

C’est le sultan du Maroc qui commissionne en 1356 un jeune érudit d’origine andalouse, Ibn Juzzay, pour transcrire toutes les aventures d’Ibn Battuta. Son récit de voyages est écrit à la première personne et nous donne tous les renseignements qui nous sont parvenus à propos du Marocain. On apprend ainsi qu’il a épousé et répudié un nombre important de femmes après en avoir pris un nombre encore plus important comme concubines. On sait aussi qu’il a mené une vie de courtisan, subsistant avec les grâces que lui apportaient les puissants des pays qu’il visitait. On comprend surtout l’importance de la religion dans son périple, car Ibn Battuta était avant tout un voyageur musulman.

La plupart des informations dont nous disposons à son propos proviennent de ses écrits personnels. Dans son ouvrage co-rédigé en 1356 avec Ibn Juzzay, il relate ses aventures et ses multiples voyages qui l’ont conduit aux quatre coins du monde connu de 1325 à 1354.

On apprend ainsi qu’Abu Abdallah Ibn Battuta est né à Tanger en 1304, sous la dynastie Marinide. Il fait des études de droit coranique et quitte Tanger dans le but d’effectuer le pèlerinage à La Mecque, ou hajj, en 1325. Il atteint l’Arabie en un an et demi, visitant au passage l’Afrique du Nord, l’Égypte, la Palestine et la Syrie. Son pèlerinage effectué en 1326, il découvre la Perse et l’Irak, puis retourne à La Mecque. Il embarque ensuite à destination de l’Afrique de l’Ouest, et navigue jusqu’à Kilwa, en actuelle Tanzanie, après être passé à Mogadiscio, Mombasa et Zanzibar. Au retour, il visite Oman et le Golfe persique avant de se rendre de nouveau à La Mecque.

Vers l’an 1330, il reprend la route. Il décide d’aller en Inde dans le but d’être engagé par le sultan de Delhi. Pour ce faire, il voyage pendant trois ans. Il passe par l’Égypte, la Syrie, Constantinople, l’Asie Mineure, la Mer Noire et l’Afghanistan. Ibn Battuta demeure huit ans en Inde, employé par Muhammad Tughluq, le sultan de Delhi. Il se voit confier un poste de qadi, de juge. En 1341, le souverain le commissionne pour mener à bien une expédition vers la cour de l’empereur mongol de Chine. Le navire s’étant échoué au sud-ouest de l’Inde, Ibn Battuta en profite pour voyager pendant deux ans aux Maldives, en Inde du Sud et à Ceylan (actuel Sri Lanka). Aux Maldives, il exerce aussi une fonction de qadi. En 1345, il se rend de lui-même en Inde par la mer. Il en profite pour visiter le Bengale, la Birmanie, l’Île de Sumatra et le sud-est de la Chine jusqu’à Canton. Il affirme avoir voyagé jusqu’à Pékin par voie terrestre, mais cette affirmation semble douteuse. En 1346-1347, Ibn Battuta retourne à La Mecque et y effectue une dernière fois le hajj. En 1349 il rentre au Maroc, puis visite Grenade. Finalement en 1353, il accomplit son dernier voyage, qui le mène à travers le Sahara jusqu’au Mali et au Soudan. En 1355, il s’établit au Maroc pour ne plus repartir.

Avec ce Livre/CD nous avons voulu évoquer le merveilleux voyage d’Ibn Battuta avec une sélection de textes, réalisée par Manuel Forcano et Sergi Grau, qui illustre les principales étapes de son itinéraire, accompagnées des musiques correspondant aux différentes cultures de chaque pays ou de la région visitée. Pour les moments historiques se référant à des événements qui ont eu lieu en Occident, nous avons utilisé des musiques de l’époque correspondant au pays ou lieu mentionné : la mort de Marco Polo (1324), le voyage dans un bateau catalan (1346), la conquête de la Sardaigne et la présence de Pierre IV sur l’île (1353), la Bataille de Baeza (1368) ou son passage dans des territoires chrétiens d’Orient, ou encore son arrivée à Constantinople (1334). Tandis que pour la majorité des moments du récit qui ont lieu dans des pays d’Afrique, dans la Grenade de l’Al-Andalus, ou dans le Proche ou le Lointain Orient, nous avons majoritairement choisi des chansons et des danses provenant des traditions de chaque lieu. Dans la plupart des cultures orientales, les musiques et les chants pratiqués aujourd’hui, sont souvent le résultat d’un long processus de transmission et d’improvisation. Ces musiques sont restées vivantes jusqu’à nos jours, du fait d’avoir été transmises par des traditions orales très anciennes (et souvent impossibles à dater d’une manière précise), dans lesquelles l’art de l’improvisation est toujours un élément essentiel de l’interprétation et de la conservation. C’est justement pour bien saisir toute la richesse et spontanéité de cet art de l’improvisation, la raison principale pour laquelle nous avons choisi d’offrir la musique des deux parties du voyage d’Ibn Battuta, à partir des deux enregistrements « live », réalisés en direct durant les deux différents magnifiques concerts ; le 1er CD contenant la Première Partie du Voyage, correspond au concert donné à Abu Dhabi, dans l’Emirates Palace-Auditorium le 20 Novembre 2014 (ce qui explique que les textes soient récités en Arabe et Anglais), et le 2e CD contenant la Deuxième Partie du Voyage, correspondant au concert donné à Paris, dans la grande Salle de La Cité de la Musique-Philharmonie de Paris, le 4 Novembre 2016 (ici avec les textes récités en Français).

Un autre aspect aussi très important dans notre proposition demeure l’utilisation des instruments en fonction du lieu et des traditions historiques. Ce qui veut dire que, – à part les musiques historiques occidentales, pour lesquelles nous utilisons les instruments médiévaux en usage : vielle, rebec, rebab médiéval, cistre, luth médiéval, organetto, chalemie, flûtes, cornemuses, et percussions diverses –, toutes les musiques de tradition orientale sont interprétées par les instruments spécifiquement joués dans les différentes cultures des pays visités par Ibn Battuta : oud marocain et ney, pour les pièces arabes, oud turc, qanun et kaval pour les musiques turques, le santur pour l’Irak et la Perse, le rebab et le zir baghali pour les pièces d’Afghanistan, le sarod et la tabla pour les musiques de l’Inde et des Îles Maldives, le pipa et le zheng pour les pièces Chinoises, et la kora et la valiha pour évoquer l’Empire du Mali.

La réalisation de cette grande fresque à la fois littéraire, historique, géographique et musicale, a été possible grâce à la riche diversité des textes et des musiques choisies, et aussi grâce à la merveilleuse capacité créative et interprétative d’une équipe de chanteurs et de musiciens exceptionnels, provenant d’Hespèrion XXI pour les musiques occidentales, et des pays mêmes où Ibn Battuta a séjourné pour les musiques orientales : Maroc, Syrie, Bulgarie, Grèce et Turquie (une partie des pays correspondant à Byzance et l’empire Ottoman), et également le Proche Orient, la côte orientale d’Afrique et d’Arabie et Mali, Madagascar, Perse, Afghanistan, Arménie, Inde et Chine.

Finalement c’est grâce à la beauté et l’émotion que portent toutes ces fascinantes musiques, que nous pourrons voyager de nouveau avec Ibn Battuta, et lui rendre hommage pour son extraordinaire « Rihla ». C’est aussi grâce au pouvoir de la musique, que nous pourrons revivre l’enchantement de quelques-unes des principales étapes, vécues durant ses trente années de pérégrinations et de découvertes : aventures, descriptions et expériences personnelles, racontées avec charme et éloquence par l’un des plus grands voyageurs de tous les temps.

JORDI SAVALL
Amsterdam, 20 Octobre 2018

Critiques

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